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Notre argumentaire

C'est un modèle de société que nous questionnons

Dans le débat politique et médiatique, l’enseignement supérieur est surtout abordé sous l’angle de l’employabilité : insertion professionnelle, salaires à la sortie, acquisition de compétences. Bien plus rarement, on interroge les idées qui sous-tendent cette approche - comme cette vision implicite selon laquelle les études ne seraient qu’un passage obligé vers un emploi rémunérateur, sans toujours s’interroger sur le sens et la finalité de ce travail. Les établissements d'enseignement supérieur, au fil des réformes, se sont transformés en un terrain de surenchères publicitaires pour des entreprises qui cherchent à faire oublier les dérives de leurs modèles. Que deviennent, dans cette perspective, l’utilité sociale, l’engagement collectif, l’esprit critique ou la transmission de savoirs capables de répondre aux urgences écologiques et sociales ? 

C’est de ce questionnement qu’est né notre projet. Nous nous sommes donnés pour mission de cartographier cette influence des intérêts privés.

L'objectif : aller au-delà des protestations ponctuelles contre quelques entreprises emblématiques, et mettre en lumière le caractère systémique, systématique, de leur présence dans l'ESR. Quels partenariats influencent les contenus et les orientations pédagogiques ? Quels effets ont-ils sur la gouvernance des établissements et sur les imaginaires professionnels des étudiant.es ?

Quand des entreprises qui échappent à l’impôt, financent des projets condamnés pour leurs impacts humains ou climatiques, ou concentrent un pouvoir économique massif, deviennent les « partenaires naturels » des écoles, c’est tout le récit de l’intérêt général et de la mission éducative qui bascule à leur avantage. Ce n’est plus seulement « qui finance la formation ? », mais bien « qui façonne nos esprits et nos métiers ? ».

Deux mécanismes nourrissent cette emprise : l'absence de transparence sur les partenariats et la concentration des mêmes entreprises partout auprès des étudiant·es... Surtout quand ces entreprises ont, en majorité, des modèles d’affaires inconciliables avec les urgences sociales et climatiques. Nos recherches dressent le panorama de ces dynamiques, les répartissent en 17 types d'influence spécifiques et démontrent, chiffres à l'appui, comment elles verrouillent toute transformation de l’ESR, en se donnant l’apparence du changement.

Le constat est dur, mais il n’est pas définitif.

Il trace la ligne de front à partir de laquelle il faut agir - en réaffirmant la mission publique des établissements, en exigeant transparence, indépendance et diversité de partenaires, et en proposant des règles claires d’exclusion et de sélection qui remettent l’éducation au service du bien commun.

Découvrez dans les pages qui suivent ce que révèle notre enquête et contribuez, à votre tour, à ouvrir la discussion sur l’avenir de nos formations.

« La nature de la pratique éducative, sa nécessité de finalité, les objectifs, les rêves qui en découlent interdisent sa neutralité. La pratique éducative est toujours politique. […] La question se pose alors de savoir quel type de savoir quel type de politique, en faveur de quoi et de qui, contre quoi et contre qui elle est dirigée. »

Paulo Freire, 1991

Que reproche-t-on aux entreprises ?


Nous faisons la différence entre intérêts privés et organismes privés. Les formations ne doivent pas nécessairement se couper du monde extérieur et d’acteurs privés (associations, artisans...). Toutfois, nous affirmons que l’enseignement supérieur n’a pas à être le terrain d’expression des intérêts personnels de quelques grandes entreprises problématiques.

Plusieurs critiques peuvent leur être adressées. Certaines concernent toutes les entreprises, d'autres seulement une partie d'entre elles. Certains critiques sont plus radicales que d'autres. Notre base de données et notre argumentaire devraient permettre à chacun·e de se positionner.

Par ordre croissant de radicalité, nous avons identifié 4 façons d’approcher le sujet, 4 reproches adressées à ces entreprises :

Niv. 1

Leurs secrets


Dans 55% des cas, les contreparties financières dans un contrat ne sont pas divulguées par l'établissement, le plus souvent au nom du "secret des affaires" des entreprises partenaires. Pourtant, la plupart des établissements sur lesquels notre enquête a été réalisée sont des établissements publics, c'est-à-dire qu'ils sont soumis à un devoir de transparence, comme toute administration. Nous leur avons envoyé une demande officielle d'accès à certains documents, sans réponse.

Niv. 2

Leur monopole


Sur l’année 2024-2025, dans notre base de données, seulement 100 entreprises cumulent plus de 2126 liens avec l’ESR, soit le tiers de nos données totales sur cette période. Si nous voulons vraiment former des étudiant.es ayant un esprit critique et une vision large de la société, nous devrions assurer la diversité des entreprises invitées à participer à la formation : PME, associations, artisans, entrepreneurs, dans une multitude de secteurs différents. Pas seulement l'armement, les banques et le pétrole, et pas seulement les plus grandes de leurs secteur.


Niv. 3

Leur modèle


Sur les 20 entreprises les plus présentes dans l'ESR, 5 produisent des armes, 2 du pétrole, 3 sont des banques françaises extrêmement polluantes, 7 sont dans l'industrie lourde, et seulement 4 n'ont pas été condamnées par la justice ou impliquées dans des scandales sociaux ou environnementaux. Certaines startups véhiculent également une image de la société fondée sur l'extrême-performance,  aveugle aux enjeux sociaux et politiques.

Au-delà de la diversité d'entreprises, il faut donc se demander si certaines devraient seulement avoir accès aux étudiant.es. Toutes ces entreprises contribuent à former une génération déconnectée et l’on devrait s’interroger sur la pertinence de leur présence - a minima, donner aux étudiant.es voix au chapitre.

Niv. 4

Leur présence

Dans plusieurs domaines, la présence d’entreprises privées extérieures à l’établissement peut paraître décalée et non nécessaire.

C’est le notamment a) des instances de gouvernance de l’école dans lesquels le risque de conflits d’intérêts, pour des entreprises qui investissent également dans l’école et ont pour but d’y générer des profits, est immense ; b) des “Contrats Marque Employeur” qui donnent de la visibilité à certains clients, transformant l’espace de vie des étudiant.es en un terrain de surenchères publicitaires pour restaurer leur réputation ; c) du financement des programmes d’études et de recherches qui biaisent profondément l’enseignement.

Pour comprendre nos critères de sélection 


Pour comprendre nos arguments en détail


Un enjeu pour la génération que l'on forme


Étudiant·es, c'est d'abord à vous que nous nous adressons. Comment préserver une véritable liberté de pensée lors de nos études ?

Le code de l’éducation dispose que « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique », qu’« il tend à l’objectivité du savoir » et qu’il « respecte la diversité des opinions ». Il doit également « garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ». Pourtant, nos données démontrent que l'enseignement supérieur n'est nullement protégé des ingérences économiques, et derrière, politiques.

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Quelques témoignages des étudiant.es

« On nous fait travailler pour les entreprises bénévolement sur des projets pseudo-scientifiques et aucun choix n'est fait sur l'entreprise pour laquelle on travaille. Par exemple, notre parrain de promo a fait un partenariat à 7 000 € en échange de plusieurs ateliers et projets, visites d'entreprises et diffusion d'offres de stage. On n'est pas beaucoup (une centaine par promo), mais j'ai l'impression qu'on s'est fait avoir. Si les entreprises veulent faire une conférence à l'école sur leur vision de la transition, ils l'achètent en proposant des sandwich et des goodies » (Elisa, étudiante à Chimie Paris)

« L'autre fois, toute une promo s'est fait laver le cerveau par Solvay sur l'hydrogène, comme solution miracle et nécessaire pour la transition énergétique, sans débat» (Clément, étudiant à l'ESPCI)

« À la période du choix des stages, on recevait des invitations à des événements de présentation de cabinet de conseil plusieurs fois par semaine, avec des affiches de publicité sur le chemin des cours, ils étaient sponsors de nos événements étudiants et les collaborateurs venaient nous recruter avec une pizza offerte ou une invitation au restaurant. En trois mois je connaissais par cœur les noms et notoriétés des 10 grands cabinets de conseil américains » (Antoine, étudiant à Polytechnique)

« Lors de mon premier jour sur le campus, alors que je devais cotiser pour les différentes associations, trois grandes banques (Société Générale, BNP Paribas et LCL) avaient un stand dédié au beau milieu de l’école et nous proposaient d’ouvrir un compte en échange de la gratuité du pull de promotion, d’une réduction sur le prix du Week-End d’Intégration ou d’une prime de bienvenue. » (Jade, étudiante à CentraleSupélec)

« On a essayé de se mobiliser contre TotalEnergies à APT, la direction ne veut rien entendre et balaye tous nos arguments. Le directeur de l'école accepte les invitations de Patrick Pouyanné [PDG de TotalEnergies] à des cocktails visant à mettre en avant les collaborations de la multinationales avec les établissements d'enseignement supérieur. Et les deux sont issus de Polytechnique, à trois promos d'intervalle. » (Thomas, étudiant à AgroParisTech)

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Quelques chiffres marquants issus de notre base de données

Disclaimer : le travail de cartographie réalisé par EIES est encore parcellaire et sera approfondir par la suite. Nos chiffres, analyses et statistiques ne visent pas à pointer du doigt un établissement ou une entreprise en particulier, mais à démontrer l'aspect systémique de l'influence du privé.

Sur les 20 entreprises les plus présentes dans les établissements, 5 produisent des armes, 2 sont impliquées dans la chaîne du pétrole, 3 sont des banques françaises polluantes, et seulement 4 n'ont pas été condamnées par la justice ou impliquées dans des scandales sociaux ou environnementaux.

En moyenne, chaque entreprise du “Top 10” entretient 65 relations avec les établissements du panel

Les 20 entreprises les plus présentes le sont dans plus d'1 établissement sur 2, une implantation quasi-systématique.

Certaines entreprises interviennent via plus d’une dizaine de canaux d’influence différents, sur les 17 identifiés

Seulement 100 entreprises cumulent 2126 liens avec les établissements de notre échantillon, soit le tiers de nos données totales sur cette période.

Le collectif EIES prépare des propositions politiques ainsi que des recommandations aux établissements afin que l'enseignement supérieur regagne son indépendance, et délivre enfin des formations à la hateur de l'urgence écologique.

Pour porter avec nous un plaidoyer politique :

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Réponse aux critiques récurrentes